Signes
photographie
2022
Le projet Signes consiste à poursuivre mes recherches sur les usages et les pratiques ritualistiques que j’avais amorcées au Maroc entre 2014 et 2016 à l’occasion de résidences d’artiste, et de développer ce travail de recherche en relation au territoire des Landes en France.
Ayant parcouru les environs de la ville de Labouheyre au cours d’une résidence à la Maison de la Photographie des Landes en 2021, le projet Signes m’a permis de m’intéresser cette fois-ci plus particulièrement aux sources et aux fontaines guérisseuses qui irriguent une grande partie du territoire landais. Ces sources endiguent depuis des siècles les histoires personnelles de ceux qui les visitent. Aujourd’hui, entre réappropriation identitaire, tradition discrète et attraction des croyances contemporaines dans des médecines alternatives, la permanence de la sacralisation de l’eau entretient l’attrait pour ce patrimoine rural longtemps resté caché, secret.
Ce qui a particulièrement retenu mon attention au cours de mes visites sur ces lieux, était la présence constante d’objets personnels laissés à proximité des sources, témoignant des passages et des rituels qui avaient été pratiqués avec l’eau. Les visiteurs qui pratiquent ces rituels utilisent des petits vêtements ou des morceaux de tissu choisis qu’ils imprègnent de l’eau de la source et peuvent appliquer sur la partie du corps malade comme un traitement thérapeutique. Puis, ils nouent et suspendent méthodiquement ces pièces d’étoffe aux abords des sources pour abandonner là le mal qu’ils sont venus soigner. Selon la tradition, lorsque le tissu aura séché, le mal aura disparu.
L’attachement physique et sensibles aux lieux qui s’établit au cours de ces pratiques semblent produire un prolongement du corps, un «soi étendu», au travers de ces dons d’objets qui jouent ici le rôle de chaînons, d’instruments et de véhicules de ce lien.
Ces objets déposés quittent dans le contexte de ces pratiques leurs valeurs d’usage, et se transforment pour en recevoir une nouvelle, la valeur du lien qui se tisse entre le donateur et la source. Ces tissus noués, témoins des difficultés qu’on est venu partager avec la source, inscrivent une présence, celle de ceux qui les ont mis en place. Et ils me renvoient en même temps à une absence et une disparition. Ces histoires individuelles rassemblées, mêlées et exposées semblent proposer une forme d’écriture d’une histoire collective de la mémoire de ces lieux.
Ce qui m’a également intéressée dans ces dispositifs était l’imaginaire qu’ouvrait chacun de ces fragments de tissu, car nous n’avons accès qu’aux traces laissées par les pratiquants une fois les gestes rituels terminés et nous ne pouvons voir que l’aspect extérieur et visible des objets qu’ils ont laissés, plus ou moins assaillis par l’usure du temps passé sur place.
Dans ce dispositif performatif de la visite à la source, j’interprète le geste symbolique de nouer ces vêtements, linge, rubans comme le souhait de circonscrire des histoires personnelles, les contenir et les retenir en ces lieux. Ces fragments de tissu noués sont à mon sens de petits espaces personnels que les visiteurs ont souhaités implanter dans ces différents lieux où ils partagent des croyances communes. Nouer quelque chose à soi, quelque chose de soi, à une branche d’arbre à proximité de la source ou à une barrière qui délimite le site, c’est marquer son passage, y laisser son empreinte. C’est également matérialiser et délimiter un espace intime à l’intérieur du microcosme que forme ces sites.
Le projet Signes a été réalisé grâce au soutien à la production de la Région Nouvelle-Aquitaine.